Georges Karouzakis

Le jeu de la peur

Par Georges Karouzakis

Ces jours-ci, une énorme publicité s’est répandue à travers le monde sur les affaires de harcèlement et les agressions sexuelles du producteur hollywoodien Harvey Weinstein, et je comprends les raisons pour lesquelles tant de gens se sont abstenus de s’exprimer, ou de dénoncer ce harcèlement publiquement – directement après qu’il avait été commis.

La réponse critique qui se dégage toujours dans mon esprit a affaire avec la peur. Plus encore, ce sentiment est endémique, mais diabolisé, dans notre société. C’est considéré, tout d’abord, comme un sentiment impopulaire, contre-productif, qui n’est pas associé au glamour, à l’évolution ou au succès. C’est un sentiment lié à des perdants, et aux personnes qui ne peuvent pas faire face aux difficultés ou aux défis de leur vie et à la société.

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Ainsi, il est facile pour certaines personnes d’exploiter la peur des victimes et des témoins de harcèlement et d’agression, par exemple, et de l’utiliser comme une arme pour se protéger eux-mêmes. C’est, encore aujourd’hui, le bouclier absolu et parfait qui protège les intimidateurs pour éviter les conséquences juridiques de leurs actes ignobles.

Comment faire pour gérer la peur ?

Comme tous, je sais qu’il est difficile de gérer la peur, ou de négliger sa domination dans nos vies, surtout dan les moments où nous nous sentons faibles et sans protection. En particulier, quand on sait que, dans la hiérarchie d’une grande partie de la société, l’agressivité des hommes à l’ intention sexuelle fait partie intégrante de ce qui est considéré comme une tradition virile.

Typique de ces préjugés est aussi le vocabulaire qui est utilisé par un grand nombre de victimes qui affichent leurs abus sexuels : « Je n’ai rien dit, car c’était un homme puissant … Je ne voulais pas être considerée comme une femme hystérique … Je suis sûre que personne ne peut vraiment comprendre ma situation, etc. »

Mais oui, il est arrivé un jour que les victimes de ces actes ne soient plus en marge de la société.

Cette situation est également marquée par les réactions auxquelles les victimes sont souvent confrontées lorsqu’elles décident de confier l’incident à leurs parents, des collègues ou des amis : « Ne pas faire face à ce con … Il n’en vaut pas la peine … Oubliez ça et allez de l’avant dans votre vie, etc. »

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Peu de gens se sentent à l’aise quand ils comprennent qu’ils seront mis au ban de la société. La solitude et l’isolement social sont les pires sentiments pour tout le monde ; plus intenses encore, pour les gens créatifs et talentueux qui s’épanouissent sous l’effet positif des autres. Et cette dimension de la peur sert en fin de compte les intimidateurs.

Mais oui, il est arrivé un jour que les victimes de ces actes ne soient plus en marge de la société. Ils font tous la une de la presse et des médias les plus importants de la planète. La peur a changé de propriétaire. Elle doit maintenant submerger logiquement de honte les intimidateurs – et non plus les victimes.

Par conséquent, nous avons maintenant une chance d’arracher le voile de la peur et de faire face au problème. La société a l’occasion de comprendre que le «jeu» d’imposer ses désirs sexuels sur le plus faible et le moins socialement ou professionnellement important n’est pas un jeu de virilité et de style.

Les autres êtres humains ne sont pas nés pour faire plaisir aux souhaits et aux désirs de n’importe qui. Nous sommes nés dans ce monde pour partager le don de la vie, et pas pour détruire et dominer. Je me réfère à la société, et non à des individus, parce que je crois que les pires problèmes de notre vie reposent sur des préjugés sociaux et des malentendus. Ne pensez-vous pas qu’il soit temps de les surmonter ?


Mon entretien avec la chanteuse française Juliette Gréco à Athènes

Par Georges Karouzakis

Juliette Gréco, la figure légendaire de la chanson française, muse des existentialistes et des intellectuels de la Rive Gauche dans les années soixante, un esprit véritablement libre dans l’après-guerre à Paris, est venue en 2015 à Athènes, en Grèce. Elle a chanté au Pallas Theater. Ce fut le premier concert d’une grande tournée, qui avait commencé en Grèce et a continué dans plusieurs pays. Ce fut la façon qu’elle avait choisie, à ses quatre-vingt-huit ans, pour dire un grand merci à son public.

Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Jean Cocteau, Miles Davis, Michel Piccoli, Serge Gainsbourg ont été parmi ceux qui aimaient sa voix et sa personnalité passionnément. Quelques heures avant de monter sur la scène du Pallas Theater d’Athènes en 2015, nous avions discuté dans la suite de son hôtel.

  • Est-ce un concert d’adieu ?

Je ne fais pas ce concert pour dire adieu, mais pour dire un grand merci. Il y a une différence.

  • Quel type de plaisir tirez-vous d’un concert ?

Il y a toujours, une joie sincère, émouvante, subversive, des sentiments rares, chaque fois différents. Je compare cette expérience avec les moments où on fait l’amour. Ils ne sont jamais les mêmes et dépendent du partenaire. J’aborde le public comme une personne. Je chante pour beaucoup de gens, mais j’en veux vraiment une seule. Nous sommes deux. Tellement que je me sens. Ma relation avec le public est comme une relation entre deux personnes.

  • Qu’est-ce qui vous a conduit à la chanson ?

J’ai commencé à chanter grâce à Jean-Paul Sartre. C’était après la guerre, j’ai commencé à jouer au théâtre. L’une de ces années, j’ai participé à la pièce de Roger Vitrac, «Victor ou Les enfants au pouvoir ». Je me souviens que ces jours, je dînais avec Sartre à Montmartre, et comme nous descendions à pied vers Saint-Germain-des-Prés, il m’a dit : « Gréco, pourquoi ne pas commencer à chanter ? » Il connaissait ma voix, donc j’ai commencé.

Le déficit de la culture

  • Votre vie, pendant la guerre, était assez difficile pour une autre raison. Votre famille appartenait à ceux qui ont résisté aux envahisseurs.

Oui, bien que les jeunes d’aujourd’hui ne sachent presque rien sur ce qui est arrivé. Il y a quelques années, en France, ils demandaient aux gens dans la rue qui était Charles de Gaulle. « Je ne sais pas », ils répondaient sèchement. C’est ridicule et inacceptable. Il y a un sérieux problème, à mon avis, quand on ignore ce qui est arrivé dans son pays. Nous avons aussi cette montée de l’extrême droite en France, que je considère effrayant.

  • Comment expliquez-vous cette préférence de certains Français ?

Je pense que c’est une attitude frivole, mais dangereuse. Cela me rappelle la logique : « Nous ne sommes pas satisfaits de cette politique, nous allons en essayer une autre. » Sans, bien sûr, aucun souci de ceux qui représentent cet autre système qui appartient à l’extrême droite. Je ne pense pas que derrière ce choix il y a une forte opinion politique. Cependant, cette attitude est tout à fait dangereuse et peut causer des problèmes graves dans le pays. Je crois qu’il y a un déficit de la culture, de l’éducation et une grande ignorance de l’histoire. Beaucoup de gens ignorent les décès à Auschwitz, à Dachau et Ravensbrück. Il y a une sorte de déni de ce qui est arrivé. Les gens refusent d’accepter l’horreur. Cependant, l’horreur est là. J’étais dans l’action de la Seconde Guerre mondiale. Ma mère était partisane, et ma sœur était dans la Résistance. Quand j’étais une petite fille, je conduisais à la gare les juifs, qui étaient dans notre maison, à cheval ou en voiture, et je faisais apporter leurs messages. J’ai eu une participation physique et spirituelle dans les événements de la Seconde Guerre mondiale.

L’esprit de la nouvelle génération

  • Plus tard dans votre vie, vous avez eu la chance de vivre très librement et vous vous êtes retrouvée au centre d’un groupe qui a changé notre manière de penser.

En plus la chute impensable de la bombe atomique au Japon, ma génération a eu l’expérience… d’une autre bombe. Nous avons connu la bombe de la liberté. Je me réfère à ce sentiment puissant de la liberté d’après-guerre qui a explosé dans un premier temps dans les rues de Montmartre, s’étendant ensuite à Montparnasse et, après la guerre, à Saint-Germain-des-Prés. Tout le monde était là : peintres, musiciens, artistes de toutes sortes. Tout le monde se ramassait dans ce petit village au cœur de Paris.

  • Pourquoi cette rencontre d’intellectuels et d’artistes à Saint-Germain-des-Prés était si importante ?

Ce fut une rencontre unique pour de nombreuses raisons. L’une d’elle était liée à l’esprit de la nouvelle génération. Là, nous avons commencé à nous nous sentir, pour la première fois, que nous étions très importants. Avant la guerre, en France, les adultes et les enfants ne parlaient pas les uns aux autres à table. Il y avait une stricte ligne de démarcation entre les parents et les enfants. Tout à coup, l’enseignant a commencé à parler et à nous écouter. Il a été créé un point de rencontre, un contact entre les adultes et les adolescents, entre l’enseignant et les élèves.

Ainsi, Jean-Paul Sartre était celui qui m’a parlé en premier. La voix des jeunes a commencé à avoir une valeur différente. Pas nécessairement la mienne, parce que je ne parlais pas beaucoup. Par conséquent, nous avons commencé à mieux réaliser notre existence ; nous nous considérions comme des êtres humains avec hypostase et personnalité. Nous pouvions échanger des points de vue avec Picasso, Simone de Beauvoir, Albert Camus, Raymond Queneau. Je me sens très heureuse d’avoir été parmi eux, et je me les rappelle tous avec une grande affection. Je ne sais pas exactement comment je me suis retrouvée dans leur association… Je n’ai pas encore de réponse claire.

  • Pourquoi, pensez-vous, qu’ils ont accepté votre compagnie ?

Ils m’ont choisie probablement parce que je suis assez différente de beaucoup de femmes de mon âge. J’ai eu beaucoup de contrastes dans mon comportement et mon apparence. J’étais, en même temps, blanche, noire, sombre … J’avais les cheveux longs de jais, qui à cette époque était en vogue. J’étais tout à fait scandaleuse. J’ai eu ce maquillage intense et ces cheveux de Bangs individuels. J’étais très différente, et je vivais très différemment. Je ne parlais pas beaucoup, mais je vivais librement. J’ai fait exactement ce que je voulais. Je portais un short au moment où aucune femme n’osait en porter. De plus, parce que je n’avais pas assez d’argent, j’ai commencé à m’habiller avec des vêtements d’hommes, en choisissant les vieux vêtements du garçon qui a vécu dans la maison de la famille où je suis restée. C’était étrange. Je ne sais pas quel désir ou force me poussent à me comporter comme ça.

  • Quel était le rôle de l’amour dans votre vie ?

L’amour a joué un rôle important dans ma vie. J’ai eu beaucoup de relations amoureuses avec des tensions différentes. Dans certains cas, je suis partie avant la catastrophe. Cependant, je suis tout à fait satisfaite de ma vie. J’ai rencontré des gens charmants. J’ai eu trois maris. Je chantais, et je chante encore la vie.


Les fausses nouvelles

Par Georges Karouzakis

L’ enthousiasme d’ère de la révolution technologique tirrer à sa fin. La décennie 90 tout le monde parlait pour les nouveaux produits technologiques, l’Internet, la communication par courrier électronique, etc. Certains d’entre nous, nous avons des souvenirs vivantes de cette époque-là : l’ancien navigateur Web Netscape, le moteur de recherche Lycos, l’utilisation des disquettes carrées ou le crissement au téléphone, quand la connexion dial –up tentait de se connecter à la planète.

Je me souviens, par exemple, que, lorsque je me suis connecté à l’Internet, la ligne téléphonique de la maison ne fonctionnait pas. Elle était occupée par la connexion de l’Internet. Je « sacrifiais » par ce choix ma communication téléphonique avec des parents et des amis afin de me connecter au monde entier. Pendant ces années-là, nous avons observé pas à pas l’évolution du miracle technologique : la circulation libre des informations, l’immensité, les possibilités et les contradictions de ce monde merveilleux qui promettait l’évolution numérique.

Ensuite, en temps court, je pense, notre vie ont été envahie par Google, Amazon, Facebook, les blogues, les réseaux sociaux, tous les moyens qui nous permettent aujourd’hui d’exposer publiquement nos pensées, nos opinions, nos attitudes les plus intimes et cachées.

Le miracle de l’Internet est rapidement adapté aux goûts, au comportement, aux mentalités et aux valeurs culturelles de ses utilisateurs. Pour cette raison, on ne peut pas limiter la signification de l’Internet à une seule dimension, parce qu’il est trop de choses à la fois : source inépuisable de connaissances et d’éducation, mais souvent arme nuisible pour les personnes malveillants et sournoises. Quelquefois, à cause de la particularité des réseaux sociaux, l’Internet s’est simplement transformé en une plate-forme de narcisses, tout en devenant aussi un champ d’activisme et beaucoup d’autres choses.

La valeur des nouvelles

Bref, il ne suffit pas d’avoir accès à des milliers d’informations. L’information n’est importante que si l’on peut la décoder et reconnaître sa valeur. Même les informations les plus rares et inestimables sont toutes inutiles pour quelqu’un qui ne peut pas les évaluer ou pour ceux qui nourrissent leur esprit par la haine, la partialité, la méfiance et les théories de complot. L’information est utile, inutile ou dangereuse, selon le cas, la culture et l’état esprit de chaque utilisateur.

Heureusement, en tout cas, nous sommes reconnaissants que des milliers d’informations de toute sorte circulent librement dans la plupart des pays. Bien que nous connaissions la manière autoritaire par laquelle les régimes tyranniques de la planète ou des représentantes des intérêts variantes censurent ou déforment des dizaines de nouvelles sur l’Internet.

La propagation des fausses nouvelles (fake news) par les différents types d’ États-majors n’est qu’un petit échantillon de la distorsion et de l’interprétation erronée des faits et des informations que nous lisons. Le but ultime de cette pratique est la manipulation des plus vulnerables personnes, celles qui n’ont pas les moyens de vérifier si une nouvelle est vraie ou non.

La diffusion de fausses nouvelles et la déformation de l’actualité sont des armes de ceux qui veulent maintenir leur pouvoir et leurs intérêts par les mensonges et désinformations. Quelle est notre attitude à l’égard de cette pratique ? La vérification, autant que possible, de la fiabilité de toute information. Notre première préoccupation dans notre tour au monde médiatique est de vérifier la source de l’information, le moyen qui la publie et quelle est sa crédibilité. Cette confirmation n’est pas toujours facile à faire, surtout dans l’environnement de l’Internet.

Même les informations les plus rares et inestimables sont toutes inutiles pour quelqu’un qui ne peut pas les évaluer ou pour ceux qui nourrissent leur esprit par la haine, la partialité, la méfiance et les théories de complot.

Plusieurs fois, les médias publics d’un pays, financés par les contribuables de tous les citoyens, ne sont que des centres de propagande du gouvernement. Beaucoup de journalistes sont prêts à déformer la vérité, à dissimuler et à modifier les nouvelles, afin de faciliter l’intérêt des gouverneurs qui veulent rester au pouvoir à tout prix, en violant le droit démocratique à l’information.

Quelles sont les armes civiles contre de telles pratiques ? L’éducation, la passion pour la recherche de la vérité, l’évolution de l’esprit critique. La mise en doute de toutes informations. L’examen des arguments qui confirment avec des informations précises et des données spécifiques un fait. Souvent, les dépêches et les rumeurs vagues sans preuve, les allégations des personnes inconnues qui signent des articles sous pseudοnymes, les attaques ad hominem sont les signes solides qui prouvent que l’information est déformée et qu’ elle cache un but qui n’est pas lié à la réalité.

Toutefois notre monde tourne rapidement. En ce moment, comme nous essayons de comprendre les nouvelles conditions dans l’environnement médiatique, quelque chose de complètement nouveau est né et qui attire notre intérêt : l’évolution de l’intelligence artificielle et la promesse de l’arrivée des ordinateurs quantiques. Ce sont deux domaines qui nous promettent d’ouvrir de nouvelles perspectives sur la communication et nous mettent, évidemment, face à de nouveaux dilemmes moraux et sociaux.


Ce que provoque pour moi la perte de l’opposant chinois Liu Xiaobo

Je pense souvent combien horrible et atroce doit être le fait de vivre et de respirer sous un régime oppressant ; d’exister dans un pays dominé par la terreur, la paranoïa et la censure.

Par Georges Karouzakis

J’ai fait ces pensées récemment, apprenant la nouvelle du décès de Liu Xiaobo, activiste, écrivain et intellectuel chinois, défenseur des libertés politiques, récompensé, en 2010, par le prix Nobel de la paix.

Il est décédé le jeudi 13 juillet à l’âge de 61 ans, à la suite de complications d’un cancer du foie. Sans qu’il ne lui ait été donné, par le régime, la possibilité de bénéficier d’un meilleur traitement qui lui permettrait le prolongement de sa vie.

« Le fait que Liu Xiaobo n’a pas été transporté dans un hôpital où il pourrait avoir des soins médicaux appropriés avant d’entrer à la phase finale de sa maladie, est un acte profondément scandaleux. Le gouvernement chinois a une grande responsabilité de la mort prématurée », a déclaré à Reuters le chef du comité du Prix Nobel, Mme Rice-Berit Andersen.

Il faut rappeler que Liu Xiaobo a été emprisonné à plusieurs reprises durant sa vie à partir de 1989. À l’époque, il a été accusé d’avoir participé à des manifestations pour la démocratie. La dernière fois qu’il a été emprisonné c’était pour avoir fait des déclarations antigouvernementales selon lesquelles « il a cherché à renverser le régime ». Le fait qu’il était un des auteurs de la célèbre « Charte 08 », le texte pour la démocratisation de la Chine, a empiré ses relations avec le régime.

La façon dont le gouvernement chinois a géré la mort de Liu Xiaobo indique les conditions particulières que le pays réserve aux dissidents. Il rappelle ainsi la manière classique dont les régimes totalitaires de toute sorte dans le monde entier font face aux opposants.

Vendredi dernier, Pékin a exprimé son aversion envers le décédé. Le porte-parole du ministère des Αffaires étrangères, a déclaré que le prix Nobel de la paix avait été blasphémé. « Attribuer le prix à une telle personne contredit l’objectif même de cette récompense », a jugé Geng Shuang dans une déclaration de presse. (Le Monde).

La mort de Liu Xiaobo donne matière à réflexion

Dans un système totalitaire même une personne morte semble menacer l’ordre, et peut être considérée comme un ennemi dangereux. La réaction à la perte de l’activiste, l’incinération hâtive du cadavre (il a été incinéré, le samedi 15 juillet et ses cendres dispersées dans la mer, selon son frère Liu Xiaoguang) confirment ce que nous savons bien : la paranoïa et la panique des régimes intolérants et des dictatures du monde entier.

La mort de Liu Xiaobo donne matière à réflexion, c’est le voile qui se déchire devant nos yeux pour révéler les images cachées de l’horreur et de l’oppression : la peur des gens dans leur vie quotidienne, les suspicions qui érodent leurs relations. On voit alors clairement les pensées qu’ils cachent et n’osent exprimer ni devant leurs parents ni devant leurs enfants, les précautions qu’ils prennent pour naviguer sur Internet. De plus, la méfiance qui domine les relations interpersonnelles devient évidente ainsi que la peur qu’ils éprouvent quand ils ont à choisir de lire tel livre ou d’assister à tel concert. Un « juge suprême » et omniprésent, le régime, contrôle les idées et les gestes des gens, incriminant les pensées intimes de tout un chacun. Il maîtrise leur esprit. Il devient leur seconde nature, enracinée dans leur comportement et leur peau.

Des milliers de personnes passent leur vie avec la certitude que l’existence est une affaire de persécuteurs et de persécutés. Ils croient que l’expression d’une opinion ou même une seule pensée pourrait être considérée comme un crime qui entraîne la pire des peines. La tyrannie est la norme. Quelle honte ! Quelle injustice ! Quel dommage !


La Grèce divisée

Par Georges Karouzakis

La Grèce est à la mode ces dernières années. Mais… de façon négative. Le pays est plongé dans une grave crise économique depuis 2009. Il n’est plus un lieu de vacances où les touristes peuvent profiter pleinement et sans souci du soleil et des plages divines des îles. Cette crise, aussi désagréable et dévastatrice qu’elle puisse être pour la majorité de la société, ne se compare pas, bien entendu, avec les énormes problèmes d’autres pays du monde. Je me réfère, bien sûr, aux pays où les droits de l’homme sont violés systématiquement, où les gens sont confrontés à la censure ou la cruauté de la guerre, ne leur permettant pas de savoir s’ils vont survivre le lendemain ou non.

La Grèce, heureusement, reste un pays démocratique. Elle est membre de l’UE, le soleil brille, la mer… est toujours bleue et les Grecs, malgré la crise, fréquentent encore les restaurants et les terrasses de café de plein air dans tous les quartiers et toutes les villes.

Les conséquences de la crise ont plusieurs facettes qui ne sont pas évidentes au premier coup d’œil. Cela ne signifie pas qu’elles n’existent pas. Par exemple, le taux de chômage est énorme, (22,5 % selon Eurostat), de nombreuses personnes ont du mal même à payer les factures, tandis qu’une grande partie des jeunes, en particulier les plus instruits, compétents et qualifiés, se voient obligés de quitter le pays à la recherche de meilleures conditions de vie à l’étranger.

Et ce n’est pas tout. Avec la crise économique des problèmes d’ordre politique et social ont fait leur apparition dans les rangs des différentes classes de la société : l’épanouissement des « fleurs du mal » du nationalisme, du populisme, de la xénophobie et du racisme. Ce nationalisme, par exemple, se manifeste sous forme d’un isolationnisme particulier, à la limite de théories de complot ce qui fait que certains pensent que ce sont les forces obscures étrangères qui cherchent à détruire « le berceau de la civilisation occidentale » qu’est la Grèce. D’autre part, l’entrée des fascistes de l’extrême droite de l’Aube Dorée  au Parlement grec est un exemple malheureux de cette situation.

Heureusement, tous les grecs ne partagent pas ces points de vue, mais ces idées sont répandues dans une grande partie – souvent la plus vulnérable – de la population.

Tous ces phénomènes de société, bien cachés dans le passé, ont commencé à faire surface avec le début de la crise économique. Dès les premiers mois de la crise un sentiment de désarroi et de désespoir, d’injustice et de détresse a envahi le peuple grec qui progressivement a commencé à réaliser le raz-de-marée catastrophique qui venait d’affecter sa vie quotidienne.

Jour après jour, chaque nouvelle difficulté, chaque nouvel obstacle provoquaient au départ l’outrage, puis l’indignation. Ensuite, tous essayaient de trouver qui étaient les responsables de cette catastrophe. Souvent, les « ennemis » étaient reconnus à l’étranger, chez les hommes politiques en général, ou tout simplement, chez les voisins. Les responsables sont, selon certains, toujours les autres.

Évidemment, les raisons qui sont à l’origine de la crise grecque sont nombreuses et complexes. Les hommes politiques grecs, les fonctionnaires de l’Union Européenne ont leur part de responsabilité. Mais les citoyens eux-mêmes ont aussi la leur. Dans un pays démocratique où les citoyens élisent leur gouvernement, le peuple est au moins responsable de son choix, et de ceux à qui il confie le destin du pays. Il faut avoir en tête que la façon dont les gens réagissent aux problèmes aigus indique le niveau de la « culture politique » des citoyens.

Enfin, en Grèce, la crise prolongée révèle un pays blessé, las et, le pire, divisé. Les liens de confiance entre les différents groupes sociaux ont été rompus et empoisonnés. Les promesses sans fin et les attentes d’amélioration de la situation ne viennent de nulle part. La colère, l’apathie et la frustration font partie du quotidien de presque tous. Et cela est vraiment injuste pour un peuple qui souffre sans cesse de l’une des plus graves crises dans notre histoire contemporaine, bien qu’il vive dans un pays d’une beauté exceptionnelle avec de nombreuses possibilités inexploitées.